Jennah Heaven Warrens • Parce que je le vaut bien.

Il m’arrivait un drôle de truc. Je n’étais pas dans mon état normal, c’était ma certitude. Mais je n’essayais pas de redevenir comme avant. J’en étais totalement incapable, et puis, dans le fond, je ne le voulait pas. Je savourais ma douleur, une exquise torture qui me rongeait de l’intérieur. J’avais mal, oui, je souffrais. Et le pire, dans tous ça, c’est que je m’en voulais. Parce que j’avais humilié William alors qu’il n’avait fait que les bonnes choses, parce que je m’étais faite humiliée, parce que je voulais voir quelqu’un, et surtout, parce que j’avais envie de me laisser dans un coin, seule et désespérée, et que ça tombait le seul soir où je n’avais pas le droit de le faire. J’avançai, regardant les gens qui ne me regardaient même pas, qui ne savaient même pas que j’existais. Et là, j’eu encore plus mal. Parce que je me rendais compte de ma douleur, et que la vérité s’imposait a moi : j’étais superficielle, égoïste et égocentrique. Si j’avais vidé ma caisse, ce soir, c’était parce que j’en avait eu envie, parce que j’étais vexée. Je n’avais rien a plaindre dans ma vie, et j’étais plutôt heureuse. Toute ma vie j’avais voulu savoir qui était mon père, j’avais rêvé de le voir, de me jeter dans ses bras, alors qu’autour de moi il y avait des gens qui se fichait bien de leur famille, certaines personnes qui auraient aimées ne pas en avoir, même, certaines personnes qui crevaient de faim alors que si ma mère n’étais pas agréable avec moi, au moins, j’avais un toit, de la nourriture et du soutien. Et je me prenais la tête avec ça. J’étais vraiment la reine des connes, la pire garce du monde, pour ne pas s’apercevoir de tous ses gens autour de moi. Et, dans le fond, je m’en fichais bien de savoir qui était mon père. Il est trop tard, maintenant, il ne pourra plus revenir et ce sera tant mieux pour tout le monde.
Une personne me frôla, mais j’étais déconnectée du monde, incapable de me servir de mes sens, incapable de me repérer. Je regardai de temps en temps les gens, et je m’interrogeais. Qu’est-ce qui les préoccupait le plus ? La couleur du rouge a lèvres avec la robe ? La Terre en danger ? Je ne savais plus qui j’étais. Ou plutôt, si, je savais trop bien qui j’étais, et j’avais peur. De moi même. Je me mis a comprendre ma mère. Elle aurait mieux fait de me noyer a ma naissance, mais elle en était incapable, je le savais. J’allais a contre-sens des gens, sans m’apercevoir que je n’allais nul part, sans le rendre compte que j’avançais a trois à l’heure. Et puis, une main se posa sur mon bras, et je frémis, parce que je savais a qui elle appartenait. Parce que je venais de passer une bonne quinzaine de minutes avec mes propres mains dans celles-là. Mon bourreau était revenu. Telle une vague enragée, pleins de choses me revinrent. Déjà, je me remis a percevoir les sons, a me rendre compte que je marchais, et puis, une dizaine de sentiments vinrent a moi. La peur, la haine, la pitié, l’envie, le dégoût, la fierté, la nervosité, la colère, et un ou deux autre que je ne pus identifier, et certains que je ne voulais pas identifier. William m’entraîna dans un petit couloir, et j’étais tellement hébétée que je ne me rendis pas tout de suite compte de ce qu’il m’arrivait, et je le suivit docilement. Il se mit devant moi, et j’eu peur, mais il se recula, me procurant un sentiment de sécurité, auquel je ne pus que le gracier.

« Écoute je suis désolé je ne voulais pas te blesser ni d’humilier. Tu as raison je suis un trop con mais je… »

Je ne l’interrompit pas. J’avais honte de moi. Je lui avais collé un pin alors qu’il venait s’excuser, alors qu’il était gentil, je l’avais mal jugé. Moi et ma grande gueule… Je ferais mieux de réfléchir avant d’agir, des fois, pour changer. Je ne sais pas s’il voulait que je l’interrompe ou pas, mais je ne le fis pas, parce que je ne savait pas dire. Désolée ? Tu l’as cherché ? Je te déteste ? Je t’aime ? Non, impossible, je n’oserais jamais dire les deux derniers. Surtout le dernier, évidemment. Mais, il repris, avec beaucoup de mal c’est vrai, et une lueur triste dans les yeux. William, sans son sourire et avec cette tête là, semblait maladif, et j’avais envie vraiment, de lui demander pardon. Parce qu’il n’avait plus l’air de l’humiliante plaie charmeuse, mais d’un garçon un peu mal à l’aise.

« Mon père est mort quand j’avais six ans »

J’ouvris la bouche pour parler. Aucun son n’en sortit. Je ne savais pas quoi dire, je n’avais jamais été douée pour ce genre de choses. C’était donc ça, son problème, ce qui faisait qu’il devenait « lunatique ». son père devait avoir certaines habitudes que William, pour conserver sa mémoire, continuait de faire. Je mis quelques secondes a comprendre qu’il avait su lire entre les lignes. Il avait compris que le gosse dont j’avais parlé c’était moi, que je souffrais surement de cette absence, etc, etc…Il savait que j’étais faible, et il ne se moquait pas de moi. Et je savais pourquoi. Parce que c’était un mec bien. Je me demandais ce qu’il faisait avec une égoïste comme moi, a essayer de se racheter. Quand je trouvais enfin les mots, il parla a nouveau.


« Je ne sait pas pourquoi je te dis ça je ne sais même pas pourquoi je t’ai rattrapé. Je n’ai pas l’habitude de faire ça. Je suis pas un mec bien Lilith, tu l’a bien ce soir mais… J’crois qu’tu me plais… vraiment »

Je le dévisagea quelques instants, époustouflée. Pile le contraire de ce que je pensais. Je sentis mes yeux me piquer, et je détournai la tête. J’avais assez fait mon numéro, ce soir, pas la peine non plus de lui montrer mes larmes.

-Je…Je ne…

Je n’arrivais même plus a parler. Une grosse boule était bloquée dans ma gorge, je passai une main lasse sur mon visage et me massa les tempes, histoire de retrouver mes esprits. Je devais fidèlement trahir l’image de ce que William pensait de moi, comme ça. Je n’étais vraiment pas maline.

-Je crois pas que je sois une personne de bien non plus. Je n’ai jamais connu mon père, et ma mère en souffre. C’est pour ça que je m’appelle Lilith. Je suis désolée pour tout William. Je ne suis qu’un égoïste débile, et voilà que tu penses que t’as quelque chose a te faire pardonner… Je sais ce que ça fait de parler aux autres de ça comme ça, c’est… très dur, et…Merci. Il prenait soin de toi, au moins ? Tu mérites que quelqu’un d’autre que moi te plaise, tu sais.

Je mélangeais tout. Absolument tout. J’eu un hoquet, et sans savoir pourquoi je le faisait, je m’approcha de lui et me laissai aller contre son torse. Ça allait totalement à l’encontre de ce que je venait de lui dire, je le savais. Parce que je l’aimait bien, en fait. Il était vraiment sympa, quand il le voulait. Je savait pour le vivre que pour se livrer comme ça a quelqu’un il fallait avoir du courage et de la confiance, et surtout, du temps, beaucoup de temps. J’aurais voulu lui demander ce que ça faisait d’avoir un père, j’aurais voulu savoir ce que ça faisait d’être aimé par deux parents, mais ça lui ferait mal et je le savait, je préservais ces questions pour mes amis de longue date, ceux a qui je savais que je pouvais parler en toute franchise sans craindre de les blesser. William, je ne pouvais, encore une fois, pas la prétendre ami. C’était trop compliqué. Je l’appréciait grandement, c’était vrai, a moi aussi il me plaisait, et si j’évitais soigneusement de répondre a sa phrase, je ne pouvais pas nier que c’était réciproque. Le fait qu’on se soit livré nos secrets ainsi m’effrayait un peu, parce que je trouvais qu’on se ressemblais peut-être un petit peu trop. Je n’avais pas l’habitude de ça, c’était vrai. Mes amis étaient tous très différents de moi, niveau caractère et réactions. William était un outsider. Ou peut-être quelque chose de totalement différent d’un inconnu.

-Excuse-moi mais…Je crois qu’je vais pleurer.